

Cécile Ladjali
The Dead Class
The world is black. A bald man without legs walks in his shadow. He pushes a wheel-barrow in which he had placed a skull. Hamlet (but is it really him?) talks to this mythological skull. It is the skull of his madness, of his death, of his suicidal love. The Black is fluid, melancholic, like it dripped from the veins of a man who asks himself why? Why is the past there, watching him with the same arrogance as that of the two empty holes in the skull? Why do these sockets resemble the stars that the painter has chosen to outshine his grey sky? To what rhyme is this tragedy? Unjustly called "playwright of death" Tadeusz Kantor is for me, the painter of life. If I was having a child, I would call him Tadeusz. The word God buries itself in the syllables of this sacred name. The little boy, sitting to the left, behind the school desk raises a finger as if to ask permission to leave the table. His stare is fixed, his scowl is sullen. Unyielding. Because he feels the presence of a double, another child, without a face this time, sitting at the desk next to him on his right. He stays there. Well-behaved. Mute. The two little ones float weightlessly in front of a back-drop of three bodies. Two naked men and a woman. Their parents perhaps? The Holy Trinity without a head. These bodies, paternal and maternal, give the infants substance, the limbs which they lack. In return the twins offer the bodies of the adults the absent head. But that is not all. There are other images. Other shadows. Other illusions. In their acrylic dream of 200X190, two profiles fold their arms. They kiss (they flare-up) on both sides of the mirror. The story of Narcissus is mortifying: the finest work of the painter who watches himself paint. Confidently drowning. One would have to no longer see. The mirror can kill. Because the past, full of arrogance, is based on the grounds of an ancient, Byzantine colony, too theatrical, too beautiful to be true. And all this stony beauty flouts the fascinating violence of man who walks in his diluted shadow. But why therefore, is this worker tramping through the world with his future stretched out in a wheelbarrow. The sun (who has not decided to die) has placed this walker in an eternal present?
The Old and the New have confused origins. These things which are written on a wooden desk. The story started with "The Dead Class". Then there is the chaos of the drama dedicated to travels. A drama of body without a head. But the child has decided to leave the canvass in order to enter the world and eternally start again. Still the canvass is split in two: a grey earth and a black sky to show the possible/impossible reconciliation changed continuously by the paint. The golds, the saffrons, the reds and the blacks it's the blood, the sun. My childhood in my pain of mankind. My death in my life. As well as drowning, Narcissus is also the searcher of self in the memory of another. Two bodies discuss; this a child fascinated by what this man has become. On the right there is an ancient stone pillar. Also a shroud. Mixed religions. Exhausted writings. Infectious paintings. Who contaminates who? Does the adult man inoculate the pain of the child? Or is it actually the child pushing back the deciduous silhouette? Movement. fate of movement. Man walks inescapably from left to right. Occident. Accident. He writes his life in a way of someone who shouldn't be. False meaning. Counter meaning. Unless the Orient can be moved to the right of the picture, so that exile becomes something else other than suicide? A window, a patch of light, open in the night.... Hope looms from from every direction in the picture, ideally interchangeable. Exile no longer exists
Translation by Christina Coddling
Text edited by FIMHR ,Chicago, 2010


Salim Jay
Ahmad Kaddour et la sérigraphie de l’inqualifiable
Les amateurs d’art marocains ne sont sans doute pas nombreux, hors tel avocat casablancais qui le collectionne, à avoir pu découvrir le travail de l’artiste-peintre syrien Ahmad Kaddour qui vit à Paris depuis une vingtaine d’années. Il est pourtant un cinéaste marocain, feu Mustapha Hasnaoui qui s’est intéressé de près à l’œuvre de Kaddour. Les deux compères ont concocté ensemble un petit film en hommage à l’écrivain égyptien Sonallah Ibrahim.
On pouvait lire à l’écran en dessous de la nuque et des épaules nues d’un homme placé sous une lumière menaçante des phrases de Sonallah Ibrahim exprimant le rejet ressenti face aux exactions, sur ce ton amèrement ironique propre au romancier qui avait été lui-même incarcéré. C’est en prison qu’il avait écrit : « Il y avait de la trivialité dans la beauté d’un pet lâché dans un salon bourgeois. Et puis, ne fallait-il pas un peu de laideur pour rendre celle d’actes ‘‘physiologiques’’ tels que frapper à mort un individu sans défense, introduire une pompe à air dans son anus, et un fil électrique dans son urètre ? ».
Les violences commises contre ceux qui refusent d’obtempérer en ces temps de détresse que vit le pays natal d’Ahmad Kaddour ont si fortement perturbé l’artiste qu’il a choisi d’en témoigner à sa manière dans des œuvres présentées en juin et juillet derniers au Carré Saint-Lazare, là où Saint Vincent de Paul accueillait entre autres les enfants trouvés et abandonnés.
Le lieu fut une prison où ont été incarcérées Louise Michel et, plus tard, Mata Hari, avant de devenir un hôpital qui ferma en 1998.
Ahmad Kabbour a écrit un petit texte intitulé Les blessures du Carré dans lequel il rappelle l’histoire du lieu avant d’y faire surgir le tragique de l’histoire immédiate : « à Hama, la rivière est sortie de son lit charriant le corps d’Ibrahim Kachouch. Le chanteur de la révolte, torturé et la gorge tranchée ».
La sérigraphie, nous dit le dictionnaire Robert, est un procédé d’impression sur bois, verre, etc., à l’aide d’un écran (en soie à l’origine) formé de mailles dont on laisse libres celles qui correspondent à l’image à imprimer.
Enseignant la sérigraphie à Paris-Ateliers, une école d’art municipale logée au Carré Saint-Lazare dans le dixième arrondissement, Ahmad Kaddour s’est livré cet été à ce qu’il pouvait nommer à juste titre de la Syrigraphie. Les violences allant jusqu’au meurtre de civils, comment un artiste peut-il en rendre compte ? Kaddour y parvient de façon saisissante.
Dès 2003, il avait publié dans le numéro 26 de la revue Passerelles consacré à l’art contemporain arabe et où figuraient notamment des textes d’Abdelkébir Khatibi et de Jean Sénac ainsi qu’une interview du peintre algérien Abdellah Benanteur, un Traité de Syrigraphie : « La terre n’est pas un exil, elle est Sykes-Picot ou un plan de métro, plus belle qu’un massacre, moins belle qu’une patrie ».
Kaddour qui a vécu à Philadelphie se demandait : « Où commence la Syrie et où Seattle finit ? ». Ce nom de Seattle, sous la plume d’Ahmad Kaddour n’évoque pas la ville de l’automobile. – où cette industrie souffre d’ailleurs d’un grand déclin. Seattle, c’est Chef Seattle (Seathl) né vers 1786 d’une mère duwamish et d’un père suqwamish, dans ce qui est aujourd’hui la ville de Seattle, dans l’État de Washington.
C’est pour un petit livre signé cent trente ans après son décès par Chef Seatle : Quelques heures, quelques hivers… (éditions Alternatives, 1998) que j’ai rencontré pour la première fois Ahmad Kaddour qui illustra ce recueil de préceptes et de récits de tribus indiennes d’Amérique du Nord.
La passion de Kaddour pour l’échange, le geste, et la restitution picturale des avatars de la relation entre individus et même entre civilisations, on en trouve une explication dans le texte qu’il signait en ouverture de Quelques heures, quelques hivers… : « À l’origine, je n’étais que geste… Mais un jour, en cours de langue française à La Sorbonne, le professeur de phonétique me demanda d’imiter la voix du canard, j’ai émis un ouak-ouak et il affirma que c’était un canard syrien qu’il entendait là. Non, ai-je répondu, c’est un canard migrateur ».
Les textes amérindiens recueillis dans Quelques heures, quelques hivers… étaient parfois des contes d’hiver sur peau de bison. Malheureusement, aujourd’hui, ce ne sont pas des contes qu’illustrent les derniers travaux d’Ahmad Kaddour, les corps qu’il dessine imprimés sur voilage transparent sont des corps martyrisés, amputés, démembrés, décapités et dont le spectre en taille réelle hante à jamais leurs spectateurs impuissants. Comment affronter ce que signifient d’inqualifiables ces corps qui ne sont plus que traces du détraquement honteux qui se perpétue aujourd’hui et qui tue ?◆
Article published in SoirEchos, october 27,2011
Il m'est en ce jour limite, j'ai épuisé tous les sursis, j'ai abusé de tous les retards, impossible de vous dire l'œuvre, sa présence orpheline, sans évoquer ce qui me lie à Ahmad Kaddour : nos années communes.
Il a vécu dans un atelier collectif, il sait en lui, intact et vif, ce curieux mélange de proximité et de promiscuité, de rencontres attendues et d'espace saturé, de regards croisés et de têtes baissées, de paroles engageantes et d'échanges impossibles.
Il recherchera toujours, en vain, à concilier son manque du désert et son besoin de l'autre.
Il tracera à main levée des figures énigmatiques, des mots illisibles pour une histoire, toujours la même, "pleine de bruit et de fureur" d'abandons et de sursauts, de vivants et de morts, de maintenant et de jamais.
Il reprendra inlassablement ce fil qui le relie au monde, l'imprimera au creux de la pierre, au cœur du papier, en parcourera les moindres méandres, en doublera l'image, une autre fois, ombre d'elle même, en superposera les plus imperceptibles repentirs, en apprendra le tracé, les yeux fermés, le geste précis, il en effacera jusqu'au souvenir, pour encore et encore le retrouver, l'éprouver, le vérifier, doutant de son entreprise, de lui-même et de l'existence.
Il sera là, œuvrant en écran, corps déambulant, corps dansant, corps encombrant, sur les pages sérigraphiées d'un livre, devant les fenêtres de ses dessins polyptyques, dans les champs brumeux de ses peintures, corps manquant pour tout avouer, mais il nous laisse en partage ses œuvres dont je n'aurai finalement pas parlé.
Cette affaire est personnelle et chacun peut suffire à la tâche.
A main levée
Michel Salsmann
.Paris 1996
